VERS DE NOUVELLES PERSONNALITES JURIDIQUES AU 21ème SIECLE ? (robots, animaux et espaces naturels)
Retour sur le colloque organisé par la Grande Bibliothèque du Droit
Le 16 mai dernier, le cabinet SELENE Avocats a été très heureux d’assister à la table ronde de grande qualité, organisée par la Grande Bibliothèque du Droit, au sujet des nouvelles personnalités juridiques du 21ème siècle.
Comme indiqué par Didier Guével, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 13, ce colloque a été l’occasion de réfléchir à l’opportunité d’allonger la liste des sous-catégories bénéficiant de la « personnalité juridique », aujourd’hui composée des personnes physiques et des personnes morales.
La personnalité juridique est traditionnellement définie comme une fiction juridique conférant des droits subjectifs et imposant des devoirs à son titulaire. L’idée de « personne » a été conceptualisée pour l’humain et par l’humain, afin de régir les rapports humains.
Toutefois, à l’heure où l’Arabie Saoudite octroie au robot humanoïde Sophia la nationalité saoudienne, et où la Cour suprême de Colombie reconnait l’Amazonie comme sujet de droit, les classifications traditionnelles tendent à exploser.
Aujourd’hui déjà, la notion de « personnalité juridique » n’est pas monolithique. Ainsi, la personnalité juridique des « humains » est variable, allant d’abord crescendo (embryon, fœtus), puis decrescendo (respect dû au cadavre). De même, la personne morale est loin de constituer une entité totalement cohérente, et n’est assimilée que partiellement à la personne physique. Elle n’a pas de vie privée, et demeure « soumise à la peine de mort ».
Durant cette table ronde, trois séries de « candidats à la personnalité » ont été successivement étudiées : les animaux, les éléments de la nature et les robots.
« Etres vivants doués de sensibilité », code de l’animal… quel niveau de protection pour les animaux ? Vers un dépassement de la summa divisio personnes/choses
Gandhi disait « on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ». Il est certain que la perception de l’animal diffère d’un Etat à un autre, d’une personne à une autre.
Marie-Bénédicte Desvallon, avocate responsable du groupe de travail d’avocats dédié à l’élaboration d’un Code français autonome des droits de l’animal et d’un statut juridique, est favorable à la remise en question du monopole de l’homme « sujet de droits ». Pour autant, elle a souligné qu’il était dangereux de réfléchir à la protection des animaux en ayant pour référence unique les caractéristiques de la personnalité humaine, et qu’il était plus pertinent de s’intéresser aux caractéristiques propres aux besoins des animaux (qui passe notamment par une protection vis-à-vis de l’homme).
Thierry Revet, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 1, partage son point de vue tout en s’interrogeant sur « l’intérêt de l’animal ». Selon lui, doter les animaux de la personnalité juridique serait un signe d’anthropocentrisme, puisque cela conduit à penser l’autre par rapport à nous-même. Il estime que la création d’obligations vis-à-vis des personnes physiques, accompagnées de sanctions en cas de non-respect, serait plus à même d’assurer une meilleure protection des animaux.
En vertu de l’article 515-14 du Code civil, les animaux sont désormais « des êtres vivants doués de sensibilité ». Pour les intervenants, la lettre de l’article nous invite à considérer que les animaux ne sont plus des biens, puisque ces derniers sont seulement « soumis au régime des biens ». La summa divisio classique entre les personnes et les choses ne serait donc plus d’actualité.
La personnalité juridique, mode de protection de l’environnement ?
Alexandre Moustardier, associé au sein du cabinet ATMOS Avocats, a d’abord rappelé que la « personnalité » avait déjà été accordée à plusieurs reprises à des espaces naturels. Il a évoqué par exemple une décision de justice ayant estimé que le fleuve du Gange en Inde devait être considéré comme une entité vivante, dotée d’une personnalité juridique. Toutefois, l’intervenant a insisté sur les difficultés liées à une application pratique d’une telle personnalité. Il s’interroge ironiquement : va-t-on tenir le Gange responsable de ses inondations ?
Selon lui, la création d’une personnalité juridique nouvelle conduirait à de nombreuses problématiques, sans pour autant avoir un réel intérêt d’un point de vue environnemental. Il estime que le système actuel est de plus en plus efficace pour indemniser le « préjudice écologique ». Ainsi, la Loi Biodiversité 2016 dispose clairement que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».
« Révolution des robots », quel cadre juridique pour une intelligence artificielle éthique ?
Mady Delvaux, députée au Parlement européen, est revenue sur son Rapport sur la robotique du 16 février 2017. Ce rapport conclut, entre autres, que la Directive sur les produits défectueux n’est pas suffisante pour permettre une indemnisation optimale des victimes de dommages liés aux robots, et à l’intelligence artificielle. En effet, il faudra faire face à la pluralité d’intervenants, et aux difficultés à établir un lien de causalité clair, à identifier le producteur, ou encore à définir « l’usage raisonnable » d’un robot par son utilisateur.
La députée est revenue sur l’une des propositions majeures du rapport, à savoir la création d’une personnalité juridique spécifique aux robots. Elle a souligné que contrairement à ce que certains avaient cru, il s’agissait seulement de rendre les robots responsables, et non de leur accorder une quelconque protection. S’agissant des sinistres pouvant résulter de l’utilisation de robots, Mady Delvaux a terminé son propos en insistant sur l’importance d’un régime d’assurance obligatoire et de fonds d’indemnisation spécifiques.
Alain Bensoussan (avocat fondateur du cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats) après avoir regretté que la France ait « loupé le virage » de la généralisation des drones civils professionnels (en raison, selon lui, de la réglementation aérienne trop complexe), est également intervenu pour défendre la création d’une personnalité juridique pour les robots. Selon lui, « tous les humains sont des personnes, mais toutes les personnes ne sont pas des humains ». Afin de le démontrer, il a notamment « discuté » avec une assistante virtuelle devant l’auditoire qui souriait largement à cette occasion ! Il a également évoqué les prouesses médicales réalisées par le programme d’intelligence artificielle Watson.
Selon l’avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, les robots sont une nouvelle espèce, que l’état du droit ne permet pas encore de prendre en compte. Par exemple, il a souligné que le droit d’auteur tel qu’il est actuellement conçu, ne protège pas les créations des robots. Pour lui, que l’on crée ou non une personnalité juridique propre aux robots, il est indispensable de remédier rapidement à cette situation.
Enfin, Laurent Gamet, associé au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats, s’est intéressé aux conséquences de l’émergence des robots sur le droit du travail. Pour lui, appliquer le droit du travail aux robots, ou encore créer un « droit du robot travailleur », n’aurait pas de sens, et n’est pas nécessaire. En effet, le robot fonctionne sans contraintes horaires ni temps de pause, et n’a pas de besoins spécifiques en terme de santé et de sécurité.
Toutefois, il est nécessaire de penser dès maintenant à adapter le droit du travail afin de protéger les personnes physiques qui pourront être affectées par l’émergence des robots. En effet, cette évolution pourrait avoir des conséquences significatives sur l’emploi. Laurent Gamet a également souligné l’enjeu lié à la sécurité sociale. Il estime qu’il faudra à terme déconnecter la protection sociale du travail, et trouver de nouveaux modes de financement. Pour autant, il n’est pas favorable à l’établissement d’une « taxe-robot ».