La renégociation du contrat en 2022 : sources, méthodes, enjeux
Le jeudi 9 juin 2022, le cabinet SELENE Avocats a été très heureux d’assister à la formation de grande qualité organisée autour de la thématique de la renégociation du contrat, durant laquelle Laurent Aynes, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et avocat associé, Philippe Stoffel-Munck, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et arbitre, Louis Thibierge, professeur à l’Université d’Aix-Marseille, Henri Savoie, conseiller d’Etat et avocat associé, Marc Sénéchal, administrateur judiciaire, associé-gérant et ancien président du CNAJMJ, Sophie Pellet, professeur à l’Université d’Amiens, et Alain Bénabent, professeur agrégé des Facultés de droit et avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ont développé les sources, méthodes et enjeux de la renégociation, avec, en toile de fond, l’avènement de la « plasticité » du contrat semble-t-il.
Nous remercions grandement les organisateurs et les intervenants.
Retour sur cette formation organisée par la Revue des contrats et Lextenso Formation, qui a abordé les trois thèmes suivants :
- l’initiative et le déclenchement de la renégociation
- le déroulement de la renégociation
- l’issue de la renégociation
1.L’initiative et le déclenchement de la renégociation
Le questionnement principal repose sur l’existence ou non d’un devoir de renégociation, et des conséquences qui pourraient en découler, notamment en matière de sanctions ou encore d’exécution forcée.
L’obligation de renégocier implique la nécessité de modifier le contrat, lorsque les parties ne peuvent plus exiger l’exécution du contrat initialement conclu. Les parties ont-elles l’obligation de tenter de sauver le contrat ?
Ce devoir, s’il existe, peut avoir deux sources : la source conventionnelle ou la source légale.
En matière légale, tant des dispositions générales que spéciales peuvent instaurer un semblant d’obligation légale de renégocier. En droit général, l’article 1195 du Code civil, applicable aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, prévoit la renégociation en cas de changement imprévisible de circonstances et d’exécution devenue excessivement onéreuse pour une partie. Bien que la renégociation soit envisagée à l’article 1195 du Code civil, elle n’est en rien obligatoire pour la partie non-victime. Le refus de renégociation, s’il ne peut constituer une faute, débouchera sur la perte du contrat ou son adaptation judiciaire. Un autre fondement possible serait l’article 1104 du Code civil (anciennement 1134, alinéa 3) sur l’obligation de bonne foi. Divers arrêts majeurs en jurisprudence reconnaissent que la partie non-victime du changement des circonstances viole ses obligations en exigeant l’exécution du contrat tel que convenu, ou bien a eu tort de tirer les conséquences de l’inexécution de la partie victime[1]. Ainsi, si le contrat ne peut être exécuté légitimement tel quel, l’obligation de loyauté (ou de bonne foi) peut imposer aux parties d’être ouvertes à son adaptation.
En matière conventionnelle, de nombreuses clauses peuvent obliger contractuellement les parties à renégocier (clause de hardship, clause de sauvegarde…). La difficulté peut résulter dans l’interprétation de ces clauses, et dans les évènements qui suscitent leur application. Certaines clauses peuvent aussi prévoir, par exemple, l’exclusion de la renégociation prévue à l’article 1195 du Code civil.
En cas de devoir de renégociation, quel est son régime ? La renégociation exige une proposition, impose que la partie réceptrice l’examine et patiente avant de refuser, mais n’impose aucunement une conclusion.
Ainsi, le devoir de renégocier ordonne-t-il de sacrifier ses intérêts ? Patienter implique déjà un certain sacrifice de ses intérêts. La Cour de cassation a reconnu néanmoins qu’une partie n’avait pas à renoncer à ses intérêts d’une quelconque manière, tant qu’elle avait accepté de modifier certains éléments du contrat[2].
Si le refus d’une proposition qui ne nuit pas aux intérêts de la partie non-victime peut constituer une faute, les conséquences du refus d’une proposition qui pourrait nuire à ses intérêts sont cependant encore incertaines.
En cas de faute, des dommages et intérêts ainsi que la résiliation judiciaire ou unilatérale peuvent être prononcés. Néanmoins, le régime d’indemnisation semble incertain. L’application au régime de la renégociation de la jurisprudence Manoukian[3] (qui prévoit, pour rappel, que la partie à l’origine de la rupture des négociations ne peut être tenue d’indemniser la perte des avantages attendus du contrat, ni même la perte de chance de pouvoir les obtenir) fait débat. Elle peut s’avérer ardue, notamment au motif qu’il est impossible de connaître le contenu du contrat qui aurait pu être conclu entre les parties à la suite de la renégociation.
En l’absence de faute, il n’est pas évident de trouver la sanction applicable. Il serait possible de voir dans l’échec de la renégociation une sorte de condition résolutoire explicite, en partant de l’article 1194 du Code civil.
2.Le déroulement de la renégociation
Les intervenants ont largement débattu sur le rôle du juge, ainsi que celui des autorités de régulation.
Le juge peut revêtir trois figures. Le juge facilitateur peut proposer la conciliation ou la médiation, bien qu’il ne puisse l’imposer, et peut les faciliter. Le juge contraignant pourrait obliger les parties à renégocier, bien que cette prérogative ne soit pour l’instant pas encore avérée. Le juge menaçant dispose d’un pouvoir de sanction, particulièrement au titre de l’article 1195 du Code civil qui permet au juge de réviser le contrat en cas d’échec des renégociations. Le juge pourrait alors octroyer des dommages et intérêts, bien que l’absence de faute caractérisée dans cette hypothèse sème le doute. De même, en cas de clause d’exclusion de l’application de cet article, cette prérogative du juge devient illusoire. Seul le juge des référés semble pouvoir jouer un rôle fondamental en ordonnant une renégociation, sur le fondement du « dommage imminent ».
Les autorités administratives peuvent modifier les contrats de droit privé, lorsqu’elles bénéficient d’une habilitation légale précise et restreinte. Le Conseil constitutionnel a fixé un cadre assez précis au législateur pour qu’il puisse autoriser l’autorité administrative à intervenir. Même si la liberté contractuelle a une portée constitutionnelle[4], le législateur peut y porter atteinte, sous couvert de l’intérêt général. Les autorités administratives peuvent intervenir tant au stade de la formation des contrats, qu’une fois les contrats conclus, ce qu’elles n’hésitent guère à faire. Pour exemple, l’Autorité de la concurrence, la Direction générale du Trésor, l’ARCOM (anciennement CSA), l’ARCEP ou encore la CRE disposent de prérogatives plus ou moins importantes pour intervenir sur les contrats au stade de leur formation, pouvant parfois aller jusqu’à interdire leur conclusion. Concernant les contrats en cours, l’intervention des autorités administratives peut se manifester par quatre moyens principaux : la procédure de règlement de différends devant une autorité administrative, le contrôle des prix, le contrôle des ententes et le régime des sanctions internationales.
Ensuite, la renégociation en droit des procédures collectives a été abordée, notion fondamentale pour toute entreprise entrant dans le champ du Livre 6 du Code de commerce. Aucune obligation de renégocier n’existe en soi puisque les règles de la procédure collective balisent la route pour les débiteurs. Il est néanmoins possible de renégocier avec des tiers qui échapperaient à l’emprise de la procédure collective, notamment en matière de revendication ou de fiducie. Néanmoins, la renégociation est surtout impérative en matière de prévention des procédures collectives. L’objectif même des procédures de conciliation ou de mandat ad hoc est la renégociation, bien qu’elle soit singulière car elle repose entièrement sur le volontarisme du chef d’entreprise. Plusieurs conditions sont vitales au succès de la renégociation dans cette matière. Il faut tout d’abord instaurer une transparence de l’information avec les banques et l’AMF spécialement. Il faut ensuite sélectionner les partenaires avec qui la négociation va devoir avoir lieu. Enfin, il est nécessaire de réaliser un diagnostic de l’entreprise, en y associant toutes les parties concernées.
La renégociation en procédures collectives peut porter sur le passif, en aménageant des périodes de grâce, en négociant le remboursement des prêts (par exemple en renégociant des prêts garantis par l’État en forme de subventions), en refinançant le futur via la new money. Elle peut aussi porter sur le capital, en négociant notamment la sortie de certains actionnaires.
Toute renégociation peut ensuite être homologuée par la juridiction compétente et un protocole général chapeautera l’ensemble contractuel, permettant ainsi une issue favorable à la renégociation.
3.L’issue de la renégociation
La formation s’est conclue sur les issues possibles de la renégociation, à savoir l’échec en cas d’absence d’accord entre les parties, le demi-succès lorsque seul un accord sur l’extinction du contrat initial a pu être trouvé, et le succès.
- En cas d’échec, le maintien du contrat peut s’avérer excessivement compliqué pour la partie victime du changement des circonstances. Il subsiste alors un réel risque que la partie victime ne rompe unilatéralement le contrat. L’obligation de renégocier permettrait ainsi de découvrir, à postériori, une faute (la victime des changements pourra éventuellement s’exonérer de toute responsabilité, voire l’imputer à l’autre partie). Ainsi, si le devoir de renégocier ne permettrait pas de protéger le futur, il pourrait, du moins, liquider le passé. De nombreuses questions restent en suspens : ne serait-il pas fautif de la part de la partie non-victime de ne pas avoir voulu réviser le contrat ou de ne pas avoir fourni un réel effort ? Existe-t-il un droit de résilier ?
- Lorsqu’une convention est conclue entre les parties mais que le contrat initial ne peut être sauvegardé, il ne s’agit alors que d’un « demi-succès». Ces conventions extinctives du contrat initial peuvent résulter d’une transaction ou d’une révocation amiable. La qualification de la convention conclue peut poser certaines difficultés en pratique. En effet, les deux qualifications juridiques possibles, à savoir la novation par changement d’objet et la révocation amiable sous la condition suspensive de la conclusion d’une nouvelle convention, aisément distinguées en théorie, se mélangent fréquemment en pratique. Par conséquent, il est impératif pour les parties d’exprimer le plus clairement leur volonté.
- La réussite quant à elle est matérialisée par la conclusion d’un accord – un avenant – modifiant la convention originaire, sans la rompre. Toutes les stipulations non révisées, ainsi que les suretés réelles et personnelles, seront maintenues.
Pour conclure, une modification de la conception du contrat est observée aujourd’hui. Le contrat n’est plus fait de « marbre » mais devient beaucoup plus « plastique ».
Les créanciers autoritaires, qui se refusent à toute modification contractuelle, ne sont plus impunis. La conception de la matière contractuelle est beaucoup plus mouvante.
Le devoir de renégocier peut aboutir au succès de la renégociation ou à la désignation du responsable de l’échec, et par conséquent à la recherche de sa responsabilité.
Le point d’attention doit évidemment être porté sur la rédaction des clauses de renégociation. Leur portée est encore trop inconnue : sont-elles obligatoires ? Sont-elles si importantes ? Le jour où la nécessité de négocier interviendra, le processus ne va-t-il pas inévitablement outrepasser la matière conventionnelle ?
Mieux la clause sera rédigée, mieux les parties seront protégées ; à cet égard, les avocats – ceux qui plaident régulièrement sur la portée de clauses contractuelles, comme SELENE – peuvent apporter un « œil neuf et d’anticipation des conflits » et ainsi une précieuse contribution à leurs clients.
Le cabinet SELENE remercie vivement Maureen NOONE et Nicolas RENAULT, élève-avocat, pour l’avoir représenté et avoir retranscrit parfaitement les principaux termes de cette formation continue de haut niveau.
[1]Cass. Com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547 ; Cass. com., 24 nov. 1998, n° 96-18.357, Bull. 1998 IV N° 277 p. 232 ; Cass. 1re civ., 16 mars 2004, n° 01-15.804, Bull. 2004 I N° 86 p. 69 ; Cass. com., 15 mars 2017, n° 15-16.406
[2]Cass. com., 3 oct. 2006, n° 04-13.214
[3] Cass. com., 26 nov. 2003, n° 00-10.243, Bull. 2003 IV N° 186 p. 206
[4] Décision n°2000-437 DC du 19 décembre 2000