Conférence du 19 juin 2023 sur la réforme du droit des contrats spéciaux (Tribunal de commerce de Paris)
SELENE AVOCATS a eu le plaisir d’assister à la conférence sur la réforme du droit des contrats spéciaux, organisée par l’association Droit et Commerce, ce lundi 19 juin 2023 à la Grande salle d’audience du Tribunal de commerce de Paris.
Cette conférence, animée par le président de la Commission chargée de rédiger l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, le Professeur Philippe Stoffel-Munck, a abordé plusieurs points importants.
L’éminent Professeur Stoffel-Munck a rappelé les objectifs de cette réforme, qui étaient de renforcer le droit positif tout en conservant ce qu’il n’était pas utile de supprimer, d’intégrer la jurisprudence dans le droit positif et de moderniser le droit des contrats spéciaux.
A la question de savoir si cette réforme allait aboutir, le Professeur Stoffel-Munck répondait, que s’il n’était pas devin, il était néanmoins très optimiste pour au moins trois raisons.
- D’abord, il existe un consensus sur l’intérêt de cette réforme, en raison des divergences entre le Code et le droit positif. Or une telle divergence est regrettable dans un pays de droit écrit
- Ensuite, il souligne la volonté politique de la part des magistrats de la Chancellerie de réformer le droit des contrats spéciaux
- Enfin, le matériau nécessaire à la faisabilité de cette réforme existe déjà: outre l’offre de loi de l’association Henri Capitant, il y a désormais l’avant-projet de la Commission Stoffel-Munck, comprenant plus de 300 articles. Selon le Professeur, le principe même de l’avant-projet n’a pas été remis en question.
En ce qui concerne le calendrier, le Professeur souligne que la Chancellerie prévoit de préparer un premier projet sur le contrat d’entreprise en 2023, suivi d’un projet sur le contrat de vente en 2024, et les autres projets suivront. Cependant, la date d’adoption de ces projets reste incertaine.
Le président de la Commission a tenu a rappelé l’esprit de l’avant-projet, qui repose sur la codification du droit existant, tout en l’adaptant pour le rendre plus lisible et attractif. Aussi, bien qu’il soit question de réforme des contrats spéciaux, certains contrats, tels que ceux relevant du droit de la famille, la transaction, la fiducie ou encore le contrat de société, ont été expressément exclus de la réforme. Ces « contrats-alliances », contrats par lesquels les parties allient leur force en vue d’une création de richesse, tout comme les contrats « très » spéciaux (par exemple, le contrat d’assurance, le bail d’habitation, etc.) ont été exclus de la réforme.
Seuls les « contrats-échanges » (contrats de vente, de prêt, de dépôt, de séquestre, d’entreprise, de mandat, d’échange ou encore de location), qui impliquent un échange d’utilité, ont été touchés par l’avant-projet de réforme.
Le Professeur a également relevé que le réalisme économique a été pris en compte dans la réforme. Par exemple, l’avant-projet se propose d’introduire dans le Code civil une nouvelle méthode de qualification, qualifiée de « distributive ». Ainsi, dans les contrats complexes chaque pan du contrat sera régi par le régime qui lui est le plus adapté. Le juge devra identifier la prestation caractéristique à l’origine du litige et appliquer le régime adéquat. Ce n’est « qu’en tant que de raison » que cette méthode distributive entrera en jeu. Pour le Professeur, ce standard du « qu’en tant que de raison » qui laisse place à une certaine incertitude, est la rançon nécessaire pour être au plus proche de la réalité économique.
La réforme vise aussi à favoriser la liberté contractuelle. Pour la Commission, il existe suffisamment de dispositifs de protection des contractants introduits depuis 1804 (que ce soit dans le Code de la consommation (« B to C »), dans le Code de commerce (« B to B ») ou dans le Code civil (« C to C »)). C’est pourquoi, s’agissant des contrats spéciaux, la Commission a choisi de favoriser la liberté contractuelle.
Encore, la réforme vise également à simplifier la vie des praticiens en conservant la numérotation habituelle des contrats (ce que le Professeur qualifie de « continuité numérique ») et en préservant le langage du Code civil. Si ce langage peut sembler technique pour un néophyte, le Professeur souligne que tout ne peut être simplifié à l’excès et que le recours à des juristes pour établir des contrats importants est hautement recommandé.
La conférence a également abordé certaines innovations qui font consensus. Par exemple, l’avant-projet se propose de permettre aux contractants de se débarrasser de conventions bancales. Ainsi, une promesse synallagmatique de vente, subordonnée à l’accomplissement d’une formalité ou d’un accord sera caduque après un délai de douze mois. Autre innovation qui fait consensus, celle consistant à limiter les hypothèses où un contrat pourrait subir un anéantissement à cause d’un problème de détermination du prix. Le juge pourra dès lors fixer le prix en se fondant sur les stipulations objectives des parties ou encore nommer un tiers qui fixera le prix.
Cependant, certaines innovations suscitent des débats. Certains textes ont été, selon le Professeur, volontairement inscrits dans l’avant-projet afin de créer un débat. Par exemple, le texte sur la sous-traitance vise à clarifier le régime juridique, en renversant la jurisprudence Besse. Pour le Professeur, il s’agit en réalité de faire réagir le législateur par rapport à la loi sur la sous-traitance, qui a aujourd’hui un champ d’application bien trop large et inadapté.
Un autre sujet de discussion concerne le texte sur le mandat, notamment en ce qui concerne la déclaration de conflit d’intérêt pour le mandataire. Cette déclaration n’a en effet aucune limite de temps, son champ d’application est large et aucune sanction n’est prévue. D’autres textes, comme celui sur la garantie des vices cachés, ont suscité des critiques doctrinales, cette fois-ci involontaires, mais bienvenues.
SELENE AVOCATS remercie le Professeur Stoffel-Munck, ainsi que l’association Droit et Commerce, pour cette riche conférence !