Retour sur la conférence organisée par la Maison du Barreau de Paris
Le 18 mai 2022, le cabinet SÉLÈNE Avocats a été très heureux d’assister à la conférence de grande qualité organisée par la Maison du Barreau de Paris, au sujet de l’émergence du droit de l’espace. Cette conférence a été l’occasion d’assister à deux tables rondes où deux principaux enjeux ont été abordés.
En effet, la première table ronde a été l’occasion de se centrer sur la question de la souveraineté de l’espace. Puis, la seconde table ronde a permis d’évoquer la problématique de l’émergence du cadre juridique du « Newspace ».
Mais avant d’évoquer ces enjeux, la conférence a commencé par une introduction sur la définition du droit de l’espace présentée par le Professeur et Directeur de l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications de l’Université Paris-Saclay, Philippe Achilleas.
À cet égard, la formation du droit de l’Espace s’est notamment faite par ses institutions. En effet, quatre institutions principales ont été créées dans le domaine spatial : le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA) depuis 1959, l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ci-après « ONU »), la conférence de désarmement et l’Union internationale des télécommunications (UIT). Ces institutions, qui constituent un ensemble institutionnel éclaté, contribuent au développement du droit de l’espace d’après le Professeur Achilleas.
Ensuite, la formation du droit de l’espace est portée par une dynamique normative qui s’est étendue sur trois périodes :
- la période de 1967 à 1979 qui constitue l’âge d’or du droit international de l’espace sous l’impulsion des États-Unis et de la Russie pendant la guerre froide au cours de laquelle plusieurs traités ont vu le jour (ex. : Traité de l’Espace de 1967) ;
- la période des années 1980 jusqu’à 2000 qui est la période des résolutions normatives de l’ONU et lois nationales (ex. : loi française du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales) ;
- la période depuis 2000 au cours de laquelle des standards techniques sont devenus nécessaires.
Enfin, le droit de l’Espace est gouverné par plusieurs principes fondamentaux :
- la liberté qui englobe la liberté de l’exploration, de l’utilisation commerciale, de l’accès aux corps célestes, et de recherches scientifiques ;
- le principe de non-appropriation (article 2 du traité de l’Espace et article 11 du traité sur la Lune) ;
- l’utilisation pacifique de l’espace.
L’utilisation de cet espace à des fins militaires est interdite sur la lune et sur autres corps célestes.
Il sera donc successivement exposé les discussions de la première table ronde (« Un espace de souveraineté ») et de la seconde table ronde (« Émergence du Newspace — quel cadre juridique ? »).
Table ronde 1 : Un espace de souveraineté
Le CNES : quelles perspectives pour l’ambition spatiale française ? Philippe Baptiste, Président du CNES
Dès 1961, la volonté commune était de doter la France d’une stratégie spatiale.
On distingue couramment les lanceurs et les missiles : bien que de nombreux points de comparaisons existent, les missiles et les lanceurs dénombrent de nombreuses différences, notamment quant à leur utilité (ex. : les lanceurs permettent l’accès à l’espace).
Aujourd’hui, l’industrie spatiale se développe. En effet, aujourd’hui, la France dispose de la capacité de faire émerger des industries avec des composantes françaises fortes dans le domaine spatial : Thales Airbus pour les missiles et ArianeGroup pour les lanceurs.
Il existe néanmoins un risque grandissant d’encombrement des orbites basses (i.e. zone de l’orbite terrestre allant jusqu’à 2 000 kilomètres d’altitude, située entre l’atmosphère et la ceinture de Van Allen) en raison des nombreux lancements d’objet spatiaux. D’ailleurs, selon Philippe Baptiste, Président du CNES, le monde est à l’aube d’une révolution et que la part de la norme va être majeure sur ce sujet.
Stratégie et Défense : la guerre des étoiles aura-t-elle lieu ? Général Michel Friedling, commandant du Commandement de l’Espace, armé de l’air et de l’espace
Le monde est aujourd’hui dans un contexte de contestation de l’ordre international. À cet égard, la guerre en Ukraine confirme cette volonté grandissante de contester l’ordre international et la possibilité de conflits militaires dans l’Espace (ex. : brouillage de satellites,…).
L’Espace est en effet porteur d’enjeux multidimensionnels forts en matière politique (tel que l’illustre le conflit armé en Ukraine) et stratégique.
L’augmentation de l’intérêt à l’égard de l’Espace influence également l’économie générale du secteur spatial. L’accroissement de l’économie générale de ce secteur a pour effet de développer l’emploi (250 000 emplois sur le développement et 1 million d’emplois dans le domaine de la localisation par satellite). Ces accords mettent ainsi en avant les principes d’exploration pacifique et d’interdiction des conflits interétatiques.
Il convient en outre de noter qu’aujourd’hui, selon le Général Michel Friedling, la France poursuit son développement dans le secteur spatial notamment par sa future adhésion aux accords Artémis (i.e. accords ayant pour objectif de définir les bases de la coopération dans l’exploitation et l’utilisation de la Lune, de Mars, ainsi que des comètes et des astéroïdes).
En outre, le domaine stratégique de l’Espace prend de l’ampleur et se distingue dans les avis de certaines personnalités politiques :
- Thierry Breton (Commissaire européen au marché intérieur): « il faut avoir aussi des éléments de sécurisation de nos infrastructures large bande, y compris spatiales, au cas où il y ait des attaques — cela peut arriver —, notamment en matière de cybersécurité » (2).
- Bruno Lemaire (Ministre de l’Économie): « l’espace jouera un rôle déterminant et clé » (3).
- Emmanuel Macron (Président de la République): « sans maîtrise de l’espace, en effet, pas de souveraineté technologique. L’accès à Internet, la navigation par satellite, tout cela dépend en grande partie de l’espace. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté industrielle et économique au-delà des dizaines de milliers d’emplois […] Sans maîtrise de l’espace, pas d’avancée scientifique ni de connaissance fine des grands enjeux environnementaux et climatiques. Sans maîtrise de l’espace, pas de souveraineté stratégique et militaire » (4).
Il existe d’ailleurs aujourd’hui un paradigme persistant dans le domaine militaire et spatial entre la compétition, la contestation et l’affrontement.
En effet, l’Espace est défini comme une zone grise avec une dualité des acteurs privés et publics et une absence de frontières et de territorialité.
Or, la France a développé récemment une nouvelle doctrine s’agissant des opérations militaires : elle considère qu’elle a le droit de répondre à des actes hostiles par la force selon le principe de la légitime défense tel que prévu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies.
En outre, les acteurs politiques et industriels français souhaitent développer l’expertise de la France dans le domaine spatial et militaire.
À cet égard, récemment, par un arrêté du 3 septembre 2019, la France a mis en place un nouvel « organisme à vocation interarmées » appelé le « commandement de l’espace ». Le commandement de l’Espace a pour fonction, notamment, de « participer à l’élaboration et à la conduite des coopérations européennes et internationales dans le domaine spatial de défense », « proposer au chef d’état-major des armées l’expression de besoin des armées en capacités de maîtrise de l’espace » et de « recueillir les besoins des armées en matière de capacités spatiales de défense et de proposer au chef d’état-major des armées les arbitrages dans ce domaine » (art. 2 de l’arrêté).
L’industrie spatiale : vecteur de souveraineté(s) en Europe ? Franck Huiban, Directeur de Programmes Civils d’ArianeGroup
ArianeGroup est une entreprise européenne (France et Allemagne) créée par Airbus et Safran qui intervient dans la transformation du secteur spatial et le Newspace. Il s’agit du principal fournisseur de service de lancement.
ArianeGroup a trois statuts différents :
- Le statut de fournisseur de service de lancement,
- Le statut d’opérateur spatial,
- Le statut de concessionnaire de services publics.
Il existe aujourd’hui une transformation du marché, qui entraine une mutation des acteurs institutionnels et des politiques nationales.
Cette transformation pose question en matière de souveraineté : comment dire qu’une start-up peut défendre des intérêts internes/européens ?
À titre de comparaison, aux États-Unis, les start-up constituent des instruments de puissance. Par exemple, l’initiative privée de l’entreprise SpaceX constitue pour le monde une réussite « américaine ». L’Europe souhaiterait ainsi développer la volonté des start-up du secteur spatial de défendre les intérêts européens. Il y a donc incontestablement des enjeux de souveraineté liés à l’accès à l’espace.
Table ronde 2 : Émergence du Newspace — quel cadre juridique ?
Opérations spatiales : quel droit applicable en France ? Alain de Boisseson, délégué aux Affaires juridiques du CNES
La France dispose d’un cadre réglementaire depuis 2008 relatif aux autorisations délivrées aux opérateurs, aux missions du centre de l’étude spatiale, au régime déclaratif sur le contrôle des données d’origine spatiales.
Ainsi, concernant le régime de responsabilité, il existe un régime de responsabilité sans faute vis-à-vis des dommages aux tiers sur terre. La responsabilité pèsera alors sur les épaules de l’opérateur spatial avec un système de garantie de l’État et une possibilité d’exercer une action récursoire (i.e. l’État peut se retourner contre le véritable responsable du dommage afin que ce dernier lui rembourse la somme octroyée). En effet, l’État peut entreprendre une action récursoire contre l’opérateur pour les montants supérieurs à 60 millions d’euros.
Il existe également une responsabilité pour faute s’agissant des dommages causés dans l’espace,
En outre, la loi française considère comme valide la clause de non-recours, usuellement utilisée dans de ce type d’opération, entre participants à l’opération spatiale.
Espace : qui est responsable en cas de dommage ? Guillaume Bigel, Conseiller « Projets spatiaux » chez Marsh
Il s’agit de distinguer la responsabilité des différents acteurs des opérations spatiales :
- L’agence de lancement supporte la responsabilité des risques jusqu’au lancement de l’objet spatial ;
- L’opérateur spatial supporte la responsabilité des risques une fois le satellite en l’air ;
- La responsabilité des fabricants des composants des satellites peut être engagée en cas de dysfonctionnement.
À cet égard, il existe différents risques dans le domaine spatial :
- Risques de dommages causés au sol à des objets spatiaux (ex. : chute du satellite NOAA-N Prime en salle d’intégration 6 septembre 2003) ;
- Risques de dommages lors du lancement (ex. Firefly Alpha en 2021 et Electron de rocket en 2017) ;
- Risques de perte du satellite en orbite (ex. : SpaceX a perdu 40 satellites Starlink à cause d’une tempête solaire le 3 février 2022) ;
- Risques de dommages aux tiers en orbite (ex. : satellite Cerise en 1986 qui est entré en collision avec un autre satellite français) ;
- Risques de dommages aux tiers par la chute de débris spatiaux au sol (ex. : le satellite Kosmos 954 tombé sur le territoire canadien en 1978).
Enfin, le risque financier des dommages est supporté, s’agissant des projets d’institutionnels, par les institutions étatiques ou interétatiques ou, s’agissant des projets des opérateurs privés, par les assureurs.
Exploration spatiale et environnement : les liaisons dangereuses ? Stanislas Maximin, CEO de Venture Orbital Systems
Le développement de l’activité spatiale et la croissance de données ainsi créées posent des questions quant à la protection de l’environnement. En effet, cette croissance a eu pour effet de créer des problématiques de gestion spatiale (ex. : encombrement du fait des nouveaux satellites).
Il n’est cependant pas question de ralentir l’activité spatiale. Il est cependant nécessaire de définir un cadre juridique applicable à tous.
Dès lors, le renseignement (ex. : observation de l’Espace afin de quantifier et de résoudre les problèmes de pollution spatiale) et la technologie (ex. : développement des minisatellites capables de se mouvoir et de se « désorbiter » seuls) constituent des clés pour la protection de l’environnement terrestre et spatial.
Exploitation des ressources spatiales : vers des accords Artémis européens ? Numa Isnard, avocat spécialisé en droit spatial et fondateur de SPACEAVOCAT
Numa Isnard nous a expliqué que dans son activité d’avocat, le droit est souvent vu comme une contrainte.
Il existe néanmoins, en droit spatial, des normes qui viennent sécuriser un chemin ou aider à sécuriser une impulsion stratégique, telles que les accords Artémis, présentés par la NASA le 13 octobre 2021.
D’ailleurs, l’Espace était pendant longtemps un grand tabou juridique (ex. : non-appropriation de l’Espace…).
Des initiatives se sont cependant développées :
- le commercial space act de 2017 aux États-Unis ;
- la loi luxembourgeoise qui précise explicitement que l’espace peut faire l’objet d’une appropriation ;
- les accords Artémis traitant notamment de l’exploitation des ressources spatiales.
Une question subsiste quant aux concepteurs des normes juridiques relatives aux ressources spatiales.
Aujourd’hui, les États réglementent la question des ressources spatiales.
Cependant, les accords Artémis changent la situation et définissent un cadre juridique relatif aux ressources spatiales. Ces accords restent néanmoins empreints de la vision des États-Unis, qui souhaitent réaliser une exploitation commerciale des ressources spatiales.
(1) les ressemblances les plus évidentes sont les moteurs et les structures de réservoirs (en particulier pour la propulsion liquide).
(2) https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/06/espace-bruno-le-maire-annonce-le-projet-maia-futur-minilanceur-reutilisable-d-arianegroup_6104938_3234.html
(3) https://www.nextinpact.com/article/49725/sans-maitrise-lespace-pas-souverainete-pour-france-et-leurope
(4) https://www.vie-publique.fr/discours/268578-florence-parly-25072019-strategie-spatiale-de-defense