Le 9 juillet dernier, s’est tenu à la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) le passionnant 2ème Forum du Conseil pour les Drones Civils (CDC), intitulé « Drones : vers une nouvelle révolution industrielle ». Retour sur un évènement riche d’enseignements dont l’ENAC et SELENE Avocats remercient les organisateurs.
Patrick Gandil, Directeur Général de l’Aviation Civile et très engagé en faveur de l’essor de la filière des drones professionnels, a souligné, dès ses propos liminaires, la volonté de faire sortir le drone français du domaine de l’expérimentation, pour entrer dans des opérations normales, qu’il qualifie de « routinières ». Monsieur Gandil positionne également la DGAC comme support, soutien et aide à cette volonté.
Les opérations au sein desquelles le drone est intégré comme un outil courant d’usage, ne manquent pas : nous pouvons citer ici les applications de RTE (Réseau de Transport d’Electricité), d’Aeromapper et d’Atechsys. Pour les premiers, l’inspection ponctuelle de pylônes par drone est déployée comme véritable outil industriel, grâce à une réglementation « connue et accessible ». Pour les seconds, les opérations en S4 sont plébiscitées : en 24 heures, il est possible de monter et organiser un vol en S4, ce qui est très efficient en cas d’intervention sur des sites touchés par des catastrophes naturelles. Enfin, DPDgroup, en partenariat avec Atechsys, a ouvert la première ligne commerciale régulière de livraison de colis par drone en France en 2016, reliant Saint-Maximin-La-Sainte-Baume à Pourrières, dans le Var. DPDgroup a annoncé qu’une nouvelle ligne commerciale allait être testée cet été.
En revanche, les obstacles potentiels se dressant sur la voie d’un déploiement plus poussé de ces opérations par drone sont eux aussi nombreux, à l’instar de la problématique de l’acceptabilité sociale. Ce thème fut débattu à l’occasion de deux tables rondes. Il en est ressorti qu’une réflexion en amont de l’introduction de tout nouveau véhicule est indispensable : on le voit au travers de l’exemple simple de la trottinette électrique, qui sème le désordre sur nos trottoirs. Parmi les préoccupations majeures, nous pouvons citer le bruit généré par les rotors des nouveaux engins volants, la sécurité, la répartition des responsabilités, la protection des données et de la vie privée, ainsi que la délicate question de leur insertion dans l’espace aérien.
Selon l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales), le bruit aérodynamique généré à l’extrémité des pales de rotor est un challenge essentiel pour ces nouveaux engins volants. Ces derniers ont des architectures non étudiées jusqu’à présent, a contrario des hélicoptères, pour lesquels le problème est analysé depuis longtemps. De plus, les deux autres composantes du bruit outre l’émission – à savoir, la propagation et la perception – restent à étudier dans un environnement urbain, où hormis les hélicoptères, aucun autre véhicule ne vole.
La sécurité est une notion primordiale qui doit nous amener à la réflexion. Apparait alors la problématique des conséquences de la chute d’un drone. Il y a deux façons d’aborder cette question : premièrement – et c’est celle favorisée aujourd’hui par les constructeurs – celle consistant à réduire le risque de chute, en travaillant sur l’architecture hardware (redondances) et software (certification des autopilotes par exemple). L’insertion de l’intelligence artificielle dans l’avionique laisse entrevoir à la fois une amélioration de la sécurité, et un casse-tête pour la certifier. La deuxième méthode consiste à analyser les conséquences de la chute d’un drone sur des personnes. Nous pouvons citer ici l’étude menée par l’ONERA et l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) à la demande de la DGAC. Cette étude, réalisée à l’aide de mannequins issus des tests de sécurité pour automobiles, est une des premières à proposer un protocole expérimental reproductible ; ce qui permettra d’amorcer la constitution de bases de données comparables. La modélisation et la simulation sont citées comme axes d’amélioration futurs.
Autre problématique soulevée et non des moindres, celle de la protection de la vie privée et des données personnelles lors des usages de drones. Le survol des propriétés privées par drone suscite son lot d’interrogations. Pour la CNIL, pour faire valoir ses droits, il convient de s’adresser au responsable du traitement qui fait voler ses drones. Cependant une difficulté majeure apparait quant à l’identification du télépilote, auteur de ce survol. Les dispositifs futurs qui permettront de récupérer ces informations sont de deux ordres : l’un des procédés provient de l’obligation de signalement électronique ou numérique prévue par la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils. Le second de ces procédés vise à la gestion du trafic de drone (U-SPACE) et sera progressivement déployé à partir de 2020 via l’application de la nouvelle règlementation européenne en la matière.
Cette nouvelle Règlementation européenne constitue, elle aussi, un écueil potentiel au développement des drones. Les entreprises commencent à peine à maîtriser les rouages de l’ensemble des aspects légaux actuels que déjà il faudra en changer. Un écueil, mais également, comme le souligne Patrick Gandil dans ses propos conclusifs, « une opportunité ».
Rappelons l’évolution récente du cadre légal relatif aux drones. Jusqu’au 11 septembre 2018, chaque État membre de l’Union européenne avait le pouvoir d’édicter ses propres normes concernant les drones dont la masse était inférieure à 150 kilogrammes ; passé ce seuil, l’EASA était compétente. Mais depuis l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2018/1139, l’EASA est habilitée à proposer à la Commission européenne son expertise technique nécessaire pour réglementer les drones de toutes tailles, y compris les petits.
Depuis le 11 juin 2019, deux Règlements européens relatifs à la sécurité des aéronefs sans équipage visant à harmoniser le cadre réglementaire en Europe ont été publiés. L’un, le Règlement délégué (UE) 2019/945 de la commission du 12 mars 2019, est relatif aux systèmes d’aéronefs sans équipage à bord et aux exploitants, issus de pays tiers, de systèmes d’aéronefs sans équipage à bord et l’autre, le Règlement d’exécution (UE) 2019/947 de la commission du 24 mai 2019, concerne les règles et procédures applicables à l’exploitation d’aéronefs sans équipage à bord. Les dispositions européennes relatives à l’usage des aéronefs sans équipage à bord s’appliqueront progressivement à partir du 1er juillet 2020 ; jusqu’à cette date, la règlementation nationale restera entièrement applicable.
La nouvelle règlementation européenne prévoit désormais trois catégories d’usage du drone : la catégorie « OPEN », la catégorie « SPECIFIC » et la catégorie « CERTIFIED ». Parmi les principaux changements annoncés, nous pouvons noter la disparition de la distinction entre l’activité de loisir et l’activité professionnelle. Dans les faits, les usages de loisir entreront plutôt dans la catégorie « OPEN » et les usages professionnels évolueront quant à eux majoritairement en « SPECIFIC » et « CERTIFIED ».
Parmi les éléments primordiaux qui restent à définir pour ces textes européens, on trouve la définition, fin 2023, des scenarii standards, visant à remplacer définitivement les scenarii nationaux des activités particulières (S1-S2-S3-S4 pour la France) ainsi que les normes pour le marquage CE des drones de la catégorie OPEN, qui ne devront pas intervenir avant la mi-2020.
Des exigences nationales de sûreté subsisteront à l’instar de l’enregistrement des drones (et non pas uniquement des opérateurs), et du signalement électronique mentionné supra. Comme le résume Patrick Gandil : « Nous ne prendrons pas de risques tout en utilisant au mieux ce qui nous est offert. La question de la sûreté nationale reste prégnante. »
Enfin, reste-t-il à aborder la gestion du trafic de drone, avec U-SPACE, considéré comme l’un des piliers du développement de la filière. Florian Guillermet, directeur exécutif de SESAR-JU (Single European Sky ATM Research Joint Undertaking), a rappelé que la notion d’U-SPACE n’est pas rattachée à un espace aérien, mais à un ensemble de services. Plusieurs expérimentations sont actuellement menées, visant notamment les taxis aériens ainsi que les urgences médicales, pour fournir les briques nécessaires à l’édification d’U-SPACE, dont le développement se fait en convergence avec l’European ATM Master Plan, et s’entrelace avec le déploiement de la réglementation Européenne.
Jim SHARPLES
Ingénieur de recherche
Chaire ENAC – Groupe ADP – Sopra Steria Systèmes de drones
Cassandra ROTILY
Doctorante en Droit (CERDACC)
Stagiaire chez SELENE Avocats
Laurent ARCHAMBAULT
Avocat associé chez SELENE Avocats